Charles Alleman

Nos habitués connaissent bien le superbe portrait en pied de Charles Alleman de Rochechinard, que nous utilisons notamment comme avatar, sur notre page Facebook.

Mais connaissez-vous la vie riche en aventures et en honneurs de ce personnage historique, issu d'une vieille famille de la noblesse du Dauphiné, qui donna également naissance au fameux chevalier Bayard ?

Chevalier Hospitalier et commandeur

Charles Alleman de Rochechinard, commandeur de Vaour : portrait en pieds (jpg - 4698 Ko)

Charles Alleman de Rochechinard.

Blason de Charles Alleman de Rochechinard (jpg - 85 Ko)

Blason de Charles Alleman de Rochechinard.

Charles Alleman nait aux environs de 1435 au pieds du Vercors, dans le Royans (Drôme). Il est le fruit de l'union entre Jean II Alleman, troisième seigneur de Rochechinard, et Margaronne de Masso. Il est probablement le troisième enfant d'une fratrie, ses frères étant Aymar II, seigneur d'Eclose, et Antoine, évêque de Cahors.

Les archives consultées par les chercheurs restent silencieuses sur sa date de naissance précise ainsi que sur son enfance. Quoiqu'il en soit, il devait être doté d'une vitalité et d'une constitution physique remarquables car il semble avoir été accepté très tôt dans l'Ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dit aussi des Hospitaliers (ordre réservé aux nobles), en tant que "frère chevalier", c'est à dire moine-guerrier. 
Il est à noter qu’il s’agit de l’ordre le plus puissant de la chrétienté à cette époque, notamment depuis qu’il reçut en 1341 les biens des  templiers …
Les documents conservés aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône le désignent dès le 1er mai 1469, à l'âge de 34 ans,  comme commandeur de Montjardin, près de Millau.

Un commandeur gère un domaine agricole depuis la commanderie fortifiée, qui abrite en son sein plusieurs autres frères dont il est le supérieur hiérarchique. Chaque année il verse une partie de ses bénéfices à l'Ordre.


En 1470, il atteint le rang élevé de Commandeur de Montpellier.

De 1476 à 1490, il est à la tête de la riche commanderie du Poët-Laval (Drôme).

De 1488 à 1497, il est signalé aussi comme commandeur de Vaour (Tarn).  C'est de cette période que date le portrait tiré du registre conservé aux Archives départementales de la Haute-Garonne.

Pierre d'Aubusson, Grand Maître de l'Ordre des Hospitaliers

  Comme on peut le remarquer en croisant ces dates, Charles Alleman dirige donc plusieurs commanderies en même temps. C'est un privilège rarement accordé chez les hospitaliers et qui indique sa proximité avec le Grand Maître de l'Ordre, Pierre d'Aubusson (surnommé le « bouclier de la chrétienté »).

Mais pour comprendre ce lien et le rang qu'il implique, il faut revenir vers 1479.

Chevalier combattant, défenseur de Rhodes

Charles Alleman, commandeur de Poët-Laval, est alors âgé d'environ 45 ans lorsqu'il décide de répondre à l'appel lancé par le Grand Maître de l'Ordre.

Le sultan Mehemed II,dit  Fathi, Le Conquérant

En effet l'île de Rhodes, où sont établis les Hospitaliers, est attaquée par les forces ottomanes dirigées par le sultan Mehemed II, surnommé El Fathi, "le conquérant". Celui-ci entend bien conquérir l'île, exterminer les chrétiens et poursuivre son expansion vers la Grèce.

Charles Alleman est donc à Rhodes lorsque le 23 mai 1480, l'armée turque, forte de près de 70 000 hommes, y débarque.

Pendant trois mois les 5000 défenseurs, encadrés par les 500 chevaliers de l'Ordre, dont Charles Alleman, ont repoussé les violents assauts des troupes du conquérant ottoman. Les Hospitaliers sont assiégés, leurs remparts pilonnés par l'artillerie ennemie. Et finalement le 22 juillet 1480, les turcs parviennent à s'emparer d'une partie des remparts défendant les positions hospitalières. Il s'ensuit un assaut désespéré des moines guerriers parmi lesquels figure Charles Alleman. C’est au terme de cette contre-attaque, menée par le Grand Maître lui-même, que les troupes turques sont repoussées.

Levée du siège de Rhodes après la sévère défaite des armées ottomanes.

L'assaut est meurtrier de part et d'autre. La moitié des chevaliers hospitaliers (251 hommes) y trouvent la mort, notamment le Grand Prieur de la commanderie de Provence dont dépend Charles Alleman.

Le 18 août les Turcs décident de lever le siège, sonnant la victoire des Hospitaliers et de leur Grand Maitre, Pierre d'Aubusson.

Le nom de Charles Alleman de Rochechinard figure toujours parmi ceux des chevaliers de l’Ordre ayant pris part à ces batailles, sur une stèle gravée à Malte. Cette île fut la dernière terre de refuge des Hospitaliers après la reprise de Rhodes par les armées turques, plus de 40 ans plus tard, en 1522. Cela valut à l'Ordre son deuxième nom, celui d’Ordre de Malte.

Protecteur et geôlier du Prince ottoman Djem / Zizim

Bayezit, fils de Mehemed II et frère de Djem Djem, fils de Mehemed II et frère de Bayezit

Lorsque le Sultan Mehemet II décède en 1481, Charles Alleman ne se doute pas du rôle que le destin va lui confier.

En effet, les deux fils du défunt, Bayezid et Djem, vont se livrer une guerre sans merci afin de s’emparer du pouvoir laissé vacant par la mort de leur père. Djem voit rapidement son armée taillée en pièce par celle de son frère et n’a pas d’autre choix que de demander asile auprès des Hospitaliers. Ceux-ci réalisent rapidement l'intérêt stratégique de la situation : d'un côté ils acceptent de protéger Djem et décident de l'escorter en France où il sera en sécurité et où il pourra supposément s'entretenir avec le roi, et de l'autre ils négocient avec Bayezid la fin des attaques turques contre le monde chrétien. Si celui-ci refuse, ils relâcheront son frère ennemi, Djem, après lui avoir permis de réunir de nouvelles troupes, relançant la guerre fratricide... L'accord est conclu : Rhodes est désormais à l'abri de nouvelles attaques, et la chrétienté préservée de l'expansionnisme musulman porté par les Ottomans. Du moins, tant que Djem vivra…

Le conseil de l'Ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem désigne trois de leurs membres de confiance ayant brillé durant les combats, pour escorter le prince Djem en France. Charles Alleman est l'un de ceux-ci. La mission est d'importance : il ne faut pas que le prince puisse tomber entre les mains des troupes turques fidèles à son frère, mais il faut aussi que Djem, hôte des Hospitaliers autant qu'otage de ceux-ci, ne soit capturé par une autre puissance une fois en Europe.

Et en effet, une fois l'escorte arrivée en France, les trois chevaliers hospitaliers déjouent une tentative d’enlèvement de Djem par le Duc de Savoie. Il sera ensuite escorté et caché de commanderies en villes. Apprenant la mort du roi Louis XI et craignant que Djem aille solliciter l'aide d'un autre roi en Europe, les trois chevaliers hospitaliers décident de désarmer, par la force, l'escorte turque accompagnant le prince, et d'officialiser son statut d'otage. Le prince Djem resta néanmoins traité avec tous les honneurs dûs à son rang.

Château de Rochechinard où sera détenu, un temps, le prince Dzem

Le périple se poursuivit jusqu’à s’arrêter, pendant quelques mois, dans « le fort de Rôsinûl » qui n’est autre que le Château de Rochechinard... Là, une légende romanesque se forma autour du prince turc, connu en France sous le nom de Zizim, et de son amour pour la fille d'un des seigneurs du lieu.

Son ascension au sein de L’Ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem

 Distingué par son rôle dans l’affaire Zizim ainsi que par ses prouesses lors du siège de Rhodes, l’Ordre des Hospitaliers confie des responsabilités et des titres de plus en plus importants à Charles Alleman : tout d’abord il se voit confier le rare privilège de diriger deux commanderies en même temps, puis il est nommé Grand Prieur de la Langue (ou Grand Prieuré) de Provence vers 1498.

L’ordre des Hospitaliers (ou de St Jean de Jérusalem) est constitué de huit grands prieurés situés en France mais aussi en Italie, Allemagne, Espagne. Et la Langue de Provence, qu’il dirige désormais, tient une place particulière au sein de l’organisation de l’Ordre. A ce titre Charles Alleman de Rochechinard hérite du titre de « Grand Commandeur de l’Ordre ».

Il en est le numéro deux, juste après le Grand Maître Pierre d’Aubusson.

C’est lui, par exemple, qui remplace à Rhodes le Grand Maître, lorsque celui-ci partira visiter les commanderies d’Europe.

Et c'est désormais Charles Alleman de Rochechinard qui administre la fortune de l’Ordre, en contrôle les revenus, les impôts mais aussi les approvisionnements de Rhodes.

Sa fonction essentielle l’oblige à résider en permanence sur l'île et à effectuer de temps à autres des visites à son Grand Prieuré afin d’en contrôler les affaires. Il se révèle dès lors aussi doué pour la gestion que pour les faits d’armes. Il renfloue les finances de l’Ordre mises à mal par toutes ces années de conflits et de sièges, et devient un proche conseiller du Grand Maître.

Il s’enrichit à ce poste, et reverse une grande partie de sa fortune aux Hospitaliers sous la forme de dons importants de nature religieuse (statues d’argent des apôtres, croix d’une valeur de 2066 écus d’or, autres statues d’or, etc…), comme de nature militaire (envoi de 4 canons à Rhodes…).

Il est probable que ces dons soutenaient des objectifs religieux comme politiques : il semble que Charles Alleman briguait le statut de Grand Maître, à la mort de Pierre d’Aubusson en 1503. Mais ce fut le Grand Prieur de France, Emery D’Amboise, qui fut élu à la succession.

Charles Alleman décède en 1512 vers l’âge, avancé pour l’époque, de près de 80 ans...

Sources

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